Est-ce que vous aussi, vous connaissez ce sentiment d’impuissance, qui assaille au tournant de la journée, quand on s’interroge sur l’état du monde et qu’on se demande comment on pourrait s’y prendre pour qu’on n’aille pas dans le mur ?
Parce que quand même, il devient impossible de lire un article sérieux sur les négociations des accords commerciaux en cours entre USA et Europe, ou un livre bien pensé sur l’inexorable casse sociale organisée par les puissants, sans avoir le sentiment de ressembler à un brin de paille en plein typhon tropical.
Même écrire un édito pied de nez, arrivé à ce point de désarroi, n’arracherait plus un début de tension de zygomatique.
Et donc, ce matin, avant de m’enfouir la tête dans le sable, en attendant que ça passe, j’ouvre ma boite à lettres, en espérant ne pas y trouver une facture oubliée.
Et là, y trône au beau milieu du métal vert sombre, seul, rutilant dans son papier glacé (qui doit coûter bonbon), le numéro de décembre d’Isère Magazine. Je me dis, désabusé, habitué au contenu ronronnant du mensuel : « et voilà, encore un joli défilé de petits vieux en maison de retraite, de cancer du péroné, de collège inauguré à vélo, de vallée rieuse en plein essor, de ligne de bus supersonique et j’en passe… »
Au moment de poser l’objet sur l’étagère, mon mouvement est arrêté par la photo de couverture. Elle nous montre de face un groupe de gens installés sur des escaliers, des habitants ordinaires, nombreux, ensemble, tout sourire, et sans fioritures ni chichis. Une assemblée de « comme moi ». Tiens donc ! Démagogie ? Coup de pub ?
Un titre au bas de la photo « Ils réinventent la solidarité ». Il transpire de ces mots quelque chose de « bien gentil », un peu charité chrétienne. Et puis « réinventent », pourquoi ? Plus personne n’était solidaire ? Ne savait faire ? Bref, ronchonnement interne, gnagnagna…
Ensuite, je m’attarde sur le sous- titre : « Ces initiatives citoyennes qui changent la vie ».
Mais bon sang, le voilà, le vrai titre sournoisement masqué derrière le titre gnangnan. Car cette sémantique là change tout ! A tel point qu’on n’ose pas trop l’afficher en grand tant le contenu pourrait devenir subversif si d’affreux jojos mal intentionnés en faisaient un enjeu politique. Là, on n’est plus dans l’entraide après naufrage, quand il n’y a plus rien à faire que de se serrer les coudes et de sauver ce qui peut l’être.
On est dans une tout autre démarche :
Initiative : sortir de sa coquille, du constat, occuper le terrain vague et construire quelque chose de nouveau qui pourrait trouver résonnance dans d’autres initiatives.
Citoyennes : un mot qui fleure bon le participatif, l’égalité, la fraternité, l’échange et le partage. Un mot qui redonne dignité aux fronts prosternés. Un mot qui unit.
Qui changent la vie : j’aurais préférer « qui pourrait changer le monde », mais bon ! Cette forme d’entrée en résistance, en proposant des formes diversifiées d’économie solidaire, change notre propre vie. Car au-delà de la bonne conscience qu’elle pourrait donner, du zeste d’illusion que l’on a sur le résultat lointain, elle nous met en marche de manière pratique et utile contre la résignation.
Il s’agit d’une action dont on a la maîtrise.
Pouvoir poser des actes, même infimes, qui dévieraient le cours inexorable des choses, est peut -être ce qui nous reste de plus précieux aujourd’hui.
JM.F